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Aline Silva a grandi à Sao Paulo. C’est la première brésilienne, homme et femme confondus, à avoir ramené une médaille mondiale en lutte libre. C’était au championnat du monde 2014 de Tachkent, en Ouzbékistan. Malgré des blessures qui auraient dû l’éloigner des tapis, elle a participé aux Jeux Olympiques de Rio. Dans les yeux d’Aline on lit une détermination hors du commun et à entendre son histoire, l’on comprend mieux d’où vient cette lumière qu’elle dégage. Echanges avec celle qui a fait de la lutte un moteur de sa vie.

 

CP : Parlez-nous de votre parcours et de votre rencontre avec le sport ?

AS : « Ma mère m’a élevée seule, mon père nous ayant abandonné alors que je n’avais pas un an. Pour subvenir à nos besoins, ma mère enchainait les petits boulots, aussi je passais mes journées à errer seule. Ma grand-mère faisait de son mieux pour garder un œil sur moi mais la dépression contre laquelle elle luttait la rendait souvent apathique. A 11 ans, j’étais très grande pour mon âge, je faisais l’école buissonnière car je m’y ennuyais trop. Je passais le plus clair de mon temps dans les rues avec des gens plus âgés et pour me sentir vivante, je trouvais une échappatoire dans les cigarettes et l’alcool. Je n’en suis pas fière mais c’est mon histoire. Je rentrais en douce juste avant ma mère qui souvent terminait son second travail de la journée à 3 heures du matin. Une nuit, j’ai fait un grave coma éthylique. Ma vie s’est jouée à rien du tout. Lorsque ma famille m’a retrouvée j’étais plus proche de la mort que de la vie. Transportée d’urgence à l’hôpital, j’ai pu être sauvée.  Mais jamais je n’ai oublié l’opprobre qui s’est abattu sur ma mère, à qui les médecins et ma famille ont reproché de ne pas s’occuper de moi, alors qu’elle faisait tout ce qu’il était humainement possible de faire pour simplement me loger et me nourrir. Je n’oublie pas non plus, le jugement que les gens portaient sur moi « Elle est déjà perdue ». Cet épisode fut un tournant. Ma mère ayant découvert que je n’allais plus à l’école a décidé de m’inscrire dans une école privée afin que j’y sois mieux encadrée. C’est là que j’ai rencontré le sport. »

CP : A vous entendre, nul doute que cette rencontre a été un élément important de votre vie. A quoi vous êtes-vous raccrochée, pourquoi le sport ?

AS : « Dans cette nouvelle école, le sport faisait partie intégrante de l’offre d’activités proposées, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ma mère l’avait choisi. Nous avions la chance de pouvoir pratiquée deux fois par semaine, c’était ludique et c’était une occasion d’être ensemble avec mes amies. Naturellement je me suis portée vers les sports de combat pour laisser libre cours à ma colère et à mon « fighting spirit ». Le judo était alors déjà très populaire au Brésil et c’est avec ce sport que j’ai débuté. Si l’ensemble de l’équipe éducative a fait preuve de bienveillance à mon égard et m’a apporté une réelle attention, c’est à mon premier coach de judo que je dois beaucoup. Il a su m’inspirer et me faire comprendre que je devais changer si je voulais réaliser mon rêve de devenir quelqu’un par le biais du sport. Très vite, il a vu que le judo m’aidait à me canaliser et que j’avais un réel potentiel. Je n’avais pas le moindre sou mais il m’a soutenu, invité à prendre part à des entrainements en club en dehors de l’école, offert mes premiers kimonos, pris sous son aile et emmener participer à des tournois avec ses enfants. En somme, il m’a donné l’opportunité de grandir dans et par le sport. C’est dans ce club qu’un autre coach m’a invité à tester la lutte. J’ai d’abord refusé car c’est un sport anecdotique au Brésil. Et puis, par goût du défi, j’ai participé à un tournoi au Brésil, que j’ai remporté sans m’être vraiment entrainée, c’était en 2006. Ce n’est que lors d’un déplacement aux Etats-Unis pour un tournoi international, durant lequel j’ai été battue à plate couture, que j’ai réalisé l’importance de ce sport dans le monde ainsi que sa portée historique. J’ai alors arrêté définitivement le judo pour me consacrer uniquement à la lutte. Un choix qui s’est avéré judicieux ! »

L'égalité des chances : un combat au quotidien => En tant que fille ou que femme nous n’avons pas les mêmes opportunités que nous homologues masculins. @AlineSilvaLuta

CP : Cela ne doit pas être simple d’exister en tant que femme au Brésil dans un sport encore relativement confidentiel ?

AS : « Le fait est qu’en tant que fille ou que femme nous n’avons pas les mêmes opportunités que nous homologues masculins qui recevront bien plus de soutien matériel, logistique et financier. Peu importe les sommets que vous atteindrez, une fédération sportive ne vous regardera que si elle le souhaite et le décide. Mon parcours m’a appris à gérer ces vicissitudes liées au manque de considération. Ma chance est sans doute que sur le tapis, je peux battre en brèche les préjugés. Les jeunes que mon mari coachent avaient bien du mal à écouter mes conseils… Jusqu’à ce que je leur prouve sur le tapis que je savais de quoi je parlais. Une fois immobilisés, ils devaient bien admettre que ma technique avait du bon ! »

Aline Silva fighting spirit GSMP

CP : En quoi le sport est-il porteur d’espoir ? Qu’est ce qui en fait un outil si particulier ?

AS : « En participant l’année dernière au « Global Sport Mentoring Program » (programme d’accompagnement des femmes à haut potentiels dans le sport), j’ai eu l’opportunité de prendre du recul par rapport à ma carrière et de réaliser à quel point le sport est magique. La vérité, ma vérité est que toute ma vie, j’ai eu ce besoin vital d’être reconnue, j’avais besoin d’attention et ce d’autant plus qu’enfant personne n’était là pour me donner l’amour dont j’avais besoin. Le sport a ceci de magique qu’il permet de montrer que vous existez. Le sport m’a sauvé car j’ai senti l’attention des gens, j’ai retrouvé l’excitation que pouvais me donner artificiellement l’alcool ou la drogue mais dans un espace sain et sécurisé. Le sport m’a offert un moyen de gérer mes émotions et une opportunité de travailler sur elles afin d’en faire une force, là où avant elles me dominaient. J’y ai aussi appris la résilience et le fait de ne jamais rien tenir pour acquis car le sport vous apprend que les efforts pour atteindre un objectif physique ne sont rien en comparaison de ceux qu’il faudra faire pour s’y maintenir. »

CP : La fin de votre carrière en tant que sportive de haut niveau approche. Quel sont vos aspirations et projets aujourd’hui ?

AS : « Dès 2014, lorsque j’ai terminé seconde au Championnat du Monde, j’ai réalisé que j’avais atteint et obtenu ce que j’avais toujours souhaité et même au-delà. Je me suis dès lors demandé ce que j’allais faire de cette histoire car oui, ce résultat était et est encore aujourd’hui historique. J’ai également réalisé que de raconter mon histoire ne serait pas suffisant. Cette même année, j’ai rencontré Dr Ashleigh Huffman et Dr Sarah Hillyer, les co-fondatrices du programme GSMP dont j’ai tout de suite su qu’il m’apporterait beaucoup. Mais à cette époque je ne parlais pas un mot d’anglais… Je me suis alors lancée le défi d’apprendre cette langue par moi-même et en 2017 j’ai eu le bonheur de partir entre septembre et octobre aux Etats-Unis pour prendre part au programme. Ces deux mois m’ont permis de mettre en place les éléments nécessaires pour faire de mon rêve de rappeler aux femmes leur force intérieure une réalité. Cela a été possible car depuis je ne suis plus seule mais accompagnée et soutenue ! Mempodera, le programme que j’ai imaginé et mis en place s’est confronté à la réalité brésilienne et j’ai dû l’adapter. Toutefois depuis mars 2018, les classes de luttes et d’anglais ont débuté. Mon objectif est, par le biais du sport, de faire prendre conscience aux jeunes participantes que C’EST POSSIBLE, leur donner une chance d’y croire et de croire en elles-mêmes. »

LA SOLUTION : Donner à tous et en particulier aux jeunes filles, un espace sécurisée pour qu’elle puisse s’exprimer librement, tant physiquement que par la parole.

 

Interview paru dans le Tout Va Bien n°26 d’Août 2018

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